J’avais prévu de centrer cet article sur la tribune lancée la semaine dernière dans Le Parisien par 35 scientifiques et universitaires tous domaines confondus : « Covid-19 : nous ne voulons plus être gouvernés par la peur ». Fortuitement, c’est sur le JDD ce dimanche, que, cette fois, 6 médecins, appellent à la vigilance face à la multiplication des signes d’alerte sur la croissance exponentielle du pourcentage de Covid-19 positifs, et demandent « de siffler la fin de la récréation ! » alertant
face à un risque épidémique caractérisé. Entre temps le Pr Jean-François Delfraissy, déclarait la nécessité pour l’état « de prendre des décisions difficiles dans les prochains jours » alors que quelques heures plus tard, à la sortie du Conseil de Défense, une déclaration en nuances du Premier Ministre semble contredire les recommandations du Conseil Scientifique.
Contradictions dans un climat de confusion et de tension : Raoult, anti-masques, et d’ores et déjà « antivax ». La tribune des 35 m’a laissé perplexe quant à sa finalité essentielle que de refonder ou de supprimer le Conseil Scientifique, sur des arguments relevant du procès d’intention dans lesquels il facile de lire les des seins personnels ou idéologiques des principaux instigateurs.
UNE ANGOISSE NÉE DES MULTIPLES MESSAGES CONTRADICTOIRES
On peut cependant accorder crédit aux auteurs de rappeler les médias à leur devoir d’information, en apportant la contradiction, l’analyse et la synthèse. Mais, non, je ne suis pas ceux qui pensent que nous sommes « Gouvernés par la peur », en revanche, si terrifier la population ne fait en rien partie de la stratégie de l’état, l’inquiétude en est un effet induit. Il est de fait préoccupant d’entendre de toutes parts des messages contradictoires, ou plus souvent sans mise en perspective ou sans pédagogie. Oui il y a un contexte sanitaire qui se dégrade, des établissements sont déjà au seuil d’alerte, et les mesures contraignantes (EHPAD, limitation des rassemblements privés…) annoncées prématurément par le Pr Delfraissy seront prononcées par les Préfets dans les jours à venir. La France demeure résolument un état jacobin, ce n’est pas dans notre culture de ne pas voir l’Exécutif décider de tout, or, sous réserve d’avoir défini un cadre d’action précis et une coordination, c’est certainement à l’échelon des régions que la prise de décision sera la plus pertinente. Définir le cadre c’est énoncer l’enjeu, arbitrer les priorités et trouver le point d’équilibre entre les risques sanitaires et sociaux économiques. Rappelons-nous la déclaration du 12 mars du Président de la République « La santé n’a pas de prix, le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour… sauver des vies, quoiqu’il en coûte », idem pour protéger entreprises et salariés « quoiqu’il en coûte là aussi ». Voilà un cadre, est-il encore d’actualité ? Seul le chef de l’Etat peut réaffirmer ou réorienter ce message. Communiquer
sur la situation sanitaire du pays, de manière factuelle et précise en donnant une perspective c’est également un cadre d’action.
UN TERRITOIRE DE COMMUNICATION ENCORE VIDE
Qui incarne la parole publique sur la situation sanitaire depuis la disparition de la scène quotidienne du DGS ? Qui dément les inepties et autres opinions de tous poils sur les plateaux ou réseaux sociaux ? Ce territoire de communication est vide et anxiogène, autrement dit ce n’est pas la communication qui est anxiogène, mais le silence, et l’absence de parole forte. Ces cadres d’action sont à réaffirmer et à détailler, il faut être explicite sur la méthode. On ne peut se satisfaire d’un « faire confiance à la responsabilité de chacun », pas en situation de crise. La communication est un volet de la stratégie pas la stratégie. La prise de parole du chef de l’Etat est attendue pour redessiner la perspective, préciser les moyens, et la méthode. La gouvernance de cette deuxième phase est donc un sujet central, alors qu’il faut saluer la conduite de la première vague. Nous ne sommes plus dans la même situation qu’en mars, de l’incertitude, terme que nous employons trop, nous passons à une zone de risques.
TROMPER N’EST PAS RASSURER
L’incertitude c’est un futur dont nous ne connaissons rien et que nous ne pouvons pas prédire. Le risque fait appel à des éléments déjà rencontrés, nous connaissons mieux ce virus, nous avons réorganisé le système de soins, nous savons mieux prendre en charge les patients, le pronostic en réanimation sera meilleur. Les entreprises dont les secteurs d’activité
n’ont pas été démantelés, ont démontré qu’elles savaient s’adapter donc ce sont bien des événements déjà vécus sur lesquels nous avons énormément appris. L’emploi abusif du
terme incertitude qui sert souvent de refuge est porteur de sens générant une inquiétude et contrairement à l’adage (dans le doute abstiens toi) ne peut plus justifier l’inaction. Un des
principaux enseignements de cette crise, et ils sont nombreux, c’est de peser autant que possible les risques entre agir de façon drastique et agir trop tard, la notion de perte acceptable suggérant une préférence pour le premier. Un rebond est inévitable mais nous pouvons agir, tromper n’est pas rassurer.